(Ce compte-rendu de cette rencontre a été rédigé par Valérie Ganne pour le CNC et la SACD)
Le passage au premier long métrage est visiblement un sujet qui passionne, car la salle était comble, mardi 24 octobre 2006 après midi, au Centre national de la cinématographie. La rencontre a été ouverte par Anne Cochard, directrice de la création, des territoires et des publics au CNC. A la table se tenaient les réalisateurs Émilie Deleuze, Lionel Delplanque, Safy Nebbou, la productrice Isabelle Madelaine (Dharamsala), Colette Quesson, responsable du pôle création de Centre images, et Olivier Cottet-Puinel, directeur adjoint de l’Audiovisuel à la SACD. Pierre Chevalier, parrain de nombre de jeunes talents en tant que responsable de l’unité fiction d’Arte pendant douze ans, et aujourd’hui conseiller de programmes à France Culture, fut un modérateur patient permettant aux nombreuses questions d’obtenir leurs réponses.
Très vite, les réalisateurs présents à la tribune se trouvèrent un premier point commun : dans ce métier, le plus difficile est de tenir. Ainsi Safy Nebbou, comédien de théâtre, portait depuis cinq ans son projet de film "le Cou de la girafe", réécrivant pour des producteurs qui ne s’engageaient jamais. "Je m’épuisais, et j’allais tout abandonner lorsque j’ai postulé aux Trophées du premier scénario du CNC". Devenu l’un des gagnants de la première session de 2002, il est remarqué par le président du jury, le producteur Charles Gassot, qui lui permet de réaliser son film. Pour Emilie Deleuze, à la formation plus classique (La Fémis), la sortie d’école fut difficile : même si Arte lui donna sa chance pour une fiction unitaire ("l’Incruste"), son premier projet de long métrage fut abandonné au dernier moment.. "Je ne sais pas comment et où j’ai retrouvé l’énergie pour écrire un autre premier film, mais ensuite tout s’est enchaîné : la chose la plus difficile c’est de pouvoir durer". Un credo que partage Lionel Delplanque : "c’est la détermination qui fait qu’on continue dans ce métier". Mais quand continuer à s’obstiner, et quand lâcher ? Vaste question, posée par la salle. "Si j’avais une réponse, je serais la plus heureuse des filles" répondit Emilie Deleuze, "mais je dirais qu’il faut continuer tant qu’il y a une idée, c’est à dire des possibilités de réécriture, des ouvertures auprès de producteurs ou d’institutions..." Lionel Delpanque n’a pas davantage de solution : "il faut sans doute se poser la question du budget" et "oser mettre momentanément une idée de côté". Quant à Safy Nebbou, il avoue : "après cinq ans seul, je n’étais même pas certain de vouloir encore réaliser "le Cou de la girafe" ! Mais même au plus bas, il y a toujours eu un petit rebond, une petite lueur d’espoir, qui m’ont évité d’abandonner."
Autre souci, partagé par les aspirants réalisateurs présents dans la salle, celui du statut exact de l’auteur, en particulier au cours de la phase de développement d’un projet, très solitaire. Pour Olivier Cottet, directeur adjoint à l’audiovisuel à la SACD, ce statut concerne l’auteur du scénario et des dialogues, celui de l’oeuvre préexistante (en cas d’adaptation d’un livre, ou d'un film en cas de remake par exemple), le réalisateur, et enfin le(s) auteur(s) compositeur(s) de la musique du film :
"Le statut d’auteur donne des droits, et en particulier une rémunération proportionnelle aux recettes, via un contrat de cession de droits d’auteur. En matière de scénario, il faut différencier l’idée, qui est de libre parcours et non protégeable, du scénario lui-même : ainsi des consultants qui conseillent l'auteur et le producteur sur le développement du scénario n'interviennent pas directement sur le processus créatif, ils ne sont pas des auteurs, à moins d’intervenir sur la structure même, les personnages, ou les dialogues du film. Et cette distinction est très importante puisque ils auraient alors le statut d’auteur ce qui implique une rémunération proportionnelle aux recettes, un contrat de cession de droits d'auteur signé avec le producteur, la rémunération perçue et répartie par la SACD lors des passages du film à la télévision, en pay per view, vidéo à la demande etc..."
Comme en ont témoigné les nombreuses questions sur le sujet, les jeunes auteurs sont souvent interrogatifs lorsqu’un autre auteur extérieur, ou plus expérimenté arrive sur un projet (ce fut le cas de Safy Nebbou avec Danièle Thompson sur "le Cou de la girafe"). "Un consultant est rémunéré au forfait, par contre s’il devient co-auteur il aura une part de la rémunération que la SACD répartit aux auteurs de l'écrit (60% de la rémunération SACD est dévolue à l’écrit, les 40% restants sont pour le réalisateur). Cette part sera négociée de gré à gré avec l'autre scénariste : s’il y a contentieux, les droits sont gelés, la SACD proposant alors aux auteurs une conciliation, mais les blocages sont rares".
La SACD est d’ailleurs ouverte à conseiller juridiquement et économiquement les auteurs, mais également à négocier pour eux leur contrat auprès des producteurs lorsqu’ils n’ont pas d’agent. Ce fut le cas du réalisateur Gérald Hustache Mathieu, qui travaille avec sa productrice Isabelle Madelaine (Dharamsala), depuis ses premiers courts métrages. Plutôt que de négocier directement avec son réalisateur, cette dernière a en effet préféré dépêcher Olivier Cottet comme intermédiaire... Autre stratégie pour Safy Nebbou, qui n’avait pas d’agent : il s’en est inventé un avant de négocier avec Charles Gassot ! "J’ai bluffé au téléphone, j’ai dit que j’étais représenté par Jean- François Gabard, que j’admirais beaucoup : je suis allé le voir ensuite avec mes courts métrages et mon scénario, et il est devenu mon agent".
La solitude du jeune auteur-réalisateur peut être brisée par la reconnaissance que représente l’obtention d’aides au CNC, souvent une première opportunité pour rencontrer un producteur. Valentine Roulet, chef du service de la création du CNC, a ainsi rappelé l’existence des aides aux courts métrages (une centaine d’oeuvres aidées par an pour 6 millions d’euros distribués), tout en soulignant que la réalisation d’un court métrage ne saurait se résumer à un stage de formation mais qu’il en résulte également des oeuvres de création à part entière. Tous les réalisateurs présents ont indiqué à quel point le passage par le court était essentiel pour confirmer une vocation et apprendre sur le terrain. Ces courts métrages peuvent aussi être un atout pour le producteur lorsqu’il va chercher des financements pour le premier long de son réalisateur : « les succès de « Peau de vache » (César 2003) et de « la Chatte andalouse » de Gérald Hustache-Mathieu ont permis à son premier scénario de long (« Avril ») de générer une grande attention de la part des distributeurs » a souligné sa productrice Isabelle Madelaine. Pour Lionel Delpanque, le court métrage permet également de savoir « si l’on sait diriger des comédiens, gérer des conflits, bref si l’on aime travailler dans ce psychodrame que peut être un plateau de cinéma ». Pour revenir au long métrage, les Trophées du premier scénario-Promesses de nouveaux talents du CNC (dix lauréats par an depuis leur création en 2002, cinq cette année), peuvent représenter un coup de pouce important. De plus, l’aide financière (6 100 €) est désormais complétée par un accompagnement des lauréats par une structure choisie par appel d’offres chaque année (Initiative Films, en 2005 et 2006), en particulier pour la recherche de producteur. Catherine Siriez (de la direction du cinéma du CNC) a quant à elle évoqué l’existence de l’aide à la réécriture (budget annuel 500 000 €) qui permet à de jeunes auteurs de présenter leur premier long métrage, parfois sans producteur, et d’obtenir 15 000 € maximum par projet pour réécrire avec l’aide de coscénaristes ou de consultants. En réponse à une question, elle a souligné que son rôle était également d’accompagner les projets aidés, en mettant les auteurs en relation avec des collaborateurs à la réécriture, ou même avec des producteurs. Enfin, elle a précisé que le premier collège de l’avance sur recettes, réservé aux premiers films, examine environ 400 projets par an pour en aider environ une vingtaine. Là encore, les auteurs n’ont pas obligatoirement de producteur au moment de la demande d’aide, contrairement à l’aide au développement, qui est réservée aux sociétés de production (2,4 millions d’euros par an). Enfin, les régions interviennent également dans le domaine de l’écriture de longs métrages : Colette Quesson (responsable de la création à Centre Images, en région Centre) a fait remarquer que les crédits avaient doublé de 2001 à 2006. Quinze régions et un département proposent aujourd’hui des aides à l’écriture, qui s’élevaient en 2005 à 7500 € en moyenne pour 75 projets de longs métrages, ce qui n’est pas négligeable. Certaines régions exigent que le projet ait un producteur, ou que l’auteur soit installé dans la région.
Mais toutes ces aides sont très sélectives : cinq lauréats sur 250 scénarios reçus pour les Trophées, 10 à 20 sur 250 projets pour l’aide à la réécriture, 5% de réussite au premier collège de l’avance sur recettes… le tri est rude.
Pierre Chevalier, récemment président de l’aide à la réécriture du CNC durant deux ans, a d’ailleurs déploré qu’en moyenne seuls 2% du budget d’un film soient dévolus à l’écriture et au développement. Même si selon Olivier Cottet de la SACD, « lorsque nous accompagnons une négociation, les minima garantis aux auteurs ne devraient pas descendre en dessous de 30 000 € sur un film à 1 million d’euros », ce seuil est malheureusement souvent plus bas pour les petits budgets. « En pratique, la fourchette de négociation de l’auteur du scénario est de 1,5 à 2,5% du budget du film agréé CNC, sauf paramètre de notoriété ou de concurrence entraînant des chiffres plus élevés ». Safy Nebbou n’a d’ailleurs pas hésité à donner son propre exemple : sur « le Cou de la girafe » avec Téléma, un film à 4,5 millions d’euros , il a reçu 25 000 € comme auteur.
Trouver son producteur est un chemin difficile. Comme le résume Safy Nebbou, la relation entre un réalisateur et son producteur est «comme une histoire de couple : si l’autre dit qu’il t’aime et qu’il veut te changer, c’est que ce n’est pas le bon… » Et les histoires sont riches en rebondissements : tout le monde n’a pas la chance de Gérald Hustache-Mathieu et Isabelle Madelaine, « couple » depuis leur premier court métrage. A ses débuts, Emilie Deleuze, lâchée par un producteur, est partie au culot voir Agnès B dont la confiance lui a donné la force de se lancer à nouveau dans l’écriture d’un projet. Quant Lionel Delplanque c’est à l’occasion d’un festival à Quimper qu’il rencontre le duo de producteurs de Fidélité. Olivier Delbosc et Marc Missonnier débutaient alors dans 10m2 à Boulogne.
Avec ou sans producteur, l’avance sur recettes du premier collège (de 300 à 500 000 euros) est un plus notable pour un premier film. Selon la productrice Isabelle Madelaine, « l’avance est clairement motrice sur les premiers films : nous avons été très déçus de ne pas l’avoir sur « Avril » de Gérald Hustache-Mathieu. Nous avions été beaucoup aidés sur les courts métrages, et nous étions certains d’obtenir l’avance ! Mais cela nous a confronté à notre rôle : si on hésite à faire un film parce qu’on a été refusé à l’avance, alors on ne fait pas un vrai métier de producteur… l’avance n’est pas un dû ». Du côté des régions, les aides aux longs métrages représentent en moyenne 160 000 euros par film. Mais il y a alors des contraintes de tournage en région, et d’emplois locaux. Et lorsque certains films cumulent les aides de plusieurs régions, comme c’est de plus en plus souvent le cas, « nous sommes attentifs à ce que certains producteurs ne fassent pas trop de contorsions pour parvenir par exemple à tourner les extérieurs dans une région et les intérieurs dans une autre… »a rappelé Colette Quesson, de Centre Images. Ainsi, la jeune productrice d’ « Avril » a su convaincre deux régions (Paca et la Haute Normandie), qui ont représenté un quart du financement. Les distributeurs pour la France (Haut et Court) et l’étranger (Films Distribution), ont chacun investi des minima garantis. Canal + et Ciné Cinéma et trois Sofica (Europacorp, Cofinova et Soficinéma) ont complété le budget, soit au total 1 million d’euros. Enfin, l’avance sur recettes après réalisation lui a permis de faire continuer à exister sa société, fragilisée en fin de production...
Car "Avril" s’est monté sans chaîne hertzienne, ce qui est très souvent le cas pour les premiers films. Il en fut de même pour le premier opus de Lionel Delplanque, "Promenons-nous dans les bois" : film d’horreur interdit aux moins de 12 ans, le projet s’est réalisé avec 2 millions d’euros. Le montant du budget du suivant, « Président », était du double avec France 2 Cinéma. Par contre le revers de la présence d’une chaîne dans le financement d’un film, est le diktat du casting : pour « le Cou de la girafe », Safy Nebbou a du menacer de quitter le projet pour pouvoir refuser un acteur important qui lui semblait trop éloigné du rôle tenu par Claude Rich au final. « Il ne faut pas tourner avec des acteurs qu’on n’aime pas quitte à mettre sa tête sur le billot» a renchéri Lionel Delplanque. Pour « Peau neuve », son premier film, Emilie Deleuze a bénéficié d’une grande liberté du point de vue du casting (Samuel Lebihan, encore inconnu à l’époque, et Martial di Fonzo Bo). Mais pour son second film, elle n’a pas réussi à imposer ce dernier, malgré huit mois de bataille : « Pour chaque génération, il n’y a pas plus de cinq comédiens qui intéressent les chaînes. Si on accepte leur casting, tous les réalisateurs courent après les mêmes têtes, c’est grave ». La productrice Isabelle Madelaine a quant à elle accompagné les choix de son réalisateur, dont Sophie Quinton est l’égérie depuis ses courts métrages. « Je savais que le premier rôle féminin était pour elle, entourée de deux comédiens peu connus, Clément Sibony et Richaud Valls. Mais il restait deux rôles que l’on pouvait attribuer à des gens plus renommés : ce furent Miou Miou et Nicolas Duvauchelle et ce fut cohérent avec l’économie du film. Mais pour le prochain film de Gérald, qui demande davantage de moyens, nous savons que sur les deux rôles principaux, si l’un est pour Sophie Quinton, l’autre devra être proposé à quelqu’un de plus connu ».
La langue de tournage est enfin un élément important par rapport au budget ou au genre du film. Lionel Delplanque n’exclue pas de tourner son prochain film en anglais. A l’inverse, la langue de tournage du prochain film produit par Isabelle Madelaine va compliquer son travail : en effet Lyes Salem (réalisateur de "Cousine", César du court métrage en 2005) a prévu son premier long métrage en Algérie, et en arabe. "Le Français n’étant pas majoritaire, nous risquons de ne pas avoir la qualification d’oeuvre originale française, ce qui est très handicapant pour les financements français, et pour les télévisions car il rentrera dans les quotas de films européens et non plus français..."
Ce jour là se dessina donc le portrait du jeune réalisateur idéal, qui doit ajouter à ses qualités créatives d’autres atouts. Il lui faut en effet être pugnace, savoir se vendre. "J’ai vu des gens objectivement très doués ne jamais réussir à faire leur premier long" constate Lionel Delplanque, "et des bateleurs passer au long métrage uniquement parce qu’ils savaient mieux en parler. Nous faisons un métier illégitime et luxueux, c’est normal qu’il faille de la passion et de la conviction". Le réalisateur doit également savoir chercher son producteur, en commençant par aller dans les salles regarder les films et leurs génériques afin de définir quelle peut être sa famille de cinéma. Mieux vaut éviter d’envoyer son projet partout, il est plus sage de choisir 5 ou 6 sociétés, tout en tentant les aides directes aux auteurs, qui, en cas de réussite, sont autant de signes de qualité pour les producteurs. Le réalisateur qui veut survivre doit enfin être prêt à développer plusieurs projets en même temps : Emilie Deleuze en a ainsi trois sur le feu (un téléfilm avec Arte, et deux projets de cinéma), avec trois producteurs différents. De même, Safy Nebbou travaille à la fois sur un film co-écrit avec un ami pour Diaphana, et sur un projet avec Gilles Taurand, pour un autre producteur (Film Oblige). Quant à Lionel Delpanque, il aimerait travailler sur plusieurs projets en même temps, mais avoue avoir du mal : "intellectuellement c’est très difficile pour moi" !
"J’ai compris quelque chose : une fois que tu as travaillé cinq ans sur ton scénario, tout est à faire" a conclu Safy Nebbou. Et ensuite, la détermination fait la différence : si environ cinquante premiers films se font chaque année, les deuxièmes films ne sont plus que vingt, et les troisièmes sept...
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Auteur du compte-rendu : Valérie Ganne