(Ce compte-rendu de cette rencontre a été rédigé par Valérie Ganne pour le CNC et la SACD)
Cette deuxième rencontre, qui abordait cette fois le thème de la fiction télévisée, était animée le 11 décembre 2006 par Frédéric Krivine. Présent en tant que scénariste et réalisateur (« PJ », « Les Enfants du mensonge », « Une Deuxième chance »), il officiait également en qualité de coprésident de l’UGS (Union Guilde des Scénaristes). Le colloque rassemblait en premier lieu des scénaristes venus parler de leur expérience : Alexandre Astier (concepteur, scénariste et coproducteur de « Kaamelott »), Olivier Szulzynger et Nicolas Durand-Zouky (respectivement directeur d’écriture et scénariste de « Plus Belle la vie »), Céline Sciamma (réalisatrice d’un premier long métrage et lauréate du Fonds d’Aide à l’Innovation Audiovisuelle du CNC). Ce quatuor était complété par Christian Biegalski (directeur du CEEA, Conservatoire Européen de l’Ecriture Audiovisuelle), Thierry Depambour (directeur littéraire à la société Son et Lumière), et Christophe Ledannois (directeur adjoint de l’Audiovisuel à la SACD ).
Olivier Szulzynger a commencé par détailler le mode de travail de l’équipe d’écriture de "Plus Belle la vie". Cette série quotidienne de France 3 représente 100 heures de diffusion par an (255 épisodes), entièrement feuilletonnantes. En terme d’écriture, cela implique qu’un scénariste ne peut s’attaquer à un épisode que si les précédents sont terminés, du moins en ce qui concerne les grandes lignes de l’histoire. La série ayant relativement peu de moyens (85000 euros pour 26 minutes), "les rebondissements permettent de retenir le public, et c’est ce qui demande un grand nombre d’auteurs" résume son directeur d’écriture.
Une quinzaine de scénaristes se partage en deux ateliers, histoires et dialogues. Il existe deux niveaux d’arches de narration : les simples (hebdomadaires, tenant sur une page) et les emblématiques (trimestrielles, dix pages); qui sont plus compliquées, et en général revues par la chaîne. « Après son accord, nous avons une semaine pour inventer les séquenciers. Ils sont relus par le producteur exécutif, avant une réunion avec les dialoguistes qui terminent chacun un épisode : à moi de les convaincre que les séquenciers que je leur apporte sont bons ». Le scénariste Nicolas Durand-Zouky précise que les auteurs fournissent 5 épisodes par semaine, à trois mois environ de leur diffusion. Il explique également le rôle d’« auteur référent », tenu par un scénariste qui change chaque semaine. « Il s’agit de lisser les séquenciers, d’assister aux réactions des dialoguistes sur ces séquenciers (ce qui est parfois houleux !), et enfin de contrôler ce qu’ils rendent ensuite».
Olivier Szulzynger constate que très peu d’auteurs quittent la série. « Nous avons commencé avec de jeunes auteurs, dont certains sont sortis de la Fémis entre autres. Et nous accueillons des « stagiaires », qui viennent comme observateurs pendant un mois. »
Pour Nicolas Durand-Zouky, ce système fonctionne car il s’est mis en place petit à petit : « au début il y avait trois ateliers d’auteurs (synopsis, séquenciers, dialogues), qui ne travaillaient pas ensemble. Comme l’audience de démarrage de la série a été catastrophique, il a fallu repenser son fonctionnement et la venue d’Olivier a changé les choses. »
Christian Biegalski rappelle que l’écriture collective existait déjà dans certain pays d’Europe et aux Etats-Unis. « La France est freinée par un complexe culturel de l’auteur solitaire hérité du 18ème siècle. Mais « Châteauvallon », produit par France2 il y a 20 ans, s’écrivait déjà en atelier. Au CEEA, nous initions des écritures collectives, sous la forme de quatre à six élèves encadrés par un scénariste qui propose un sujet pour le trimestre. Mais même les formateurs n’ont parfois pas l’habitude de travailler en atelier..."
L’écriture collective s’apparente selon Nicolas Durand-Zouky au travail de collaboration qui existe dans le secteur du cinéma où il a travaillé comme assistant réalisateur : « plusieurs artistes apportent chacun leur talent, et chacun est auteur avec son propre apport créatif. » Frédéric Krivine conclut sur une note humoristique, proposant la formule « écriture collectiviste » plutôt que "collective.
La série « Kaamelott » sur M6, comprend deux saisons par an, soit 12 heures d’histoires, qu’Alexandre Astier écrit seul. Une liberté âprement négociée : « je prenais la suite de Caméra Café qui était écrit collectivement et employait une trentaine d’auteurs. Mais je me suis appliqué à refuser l’écriture collective. Je viens de la musique où l’on écrit en solitaire. J’écris donc seul et il n’y a pas de relecture extérieure. Une des qualités de cette série est d’aller à contre-courant d’elle-même, et c’est aussi pour cela que je suis contre la sacrosainte « Bible » qui résume les personnages ». Olivier Szulzynger le rejoint sur ce thème : « on fait des Bibles et des fiches personnages énormes alors qu’il vaut mieux d’abord discuter ensemble. Il faut savoir se priver de ce confort. » « La Bible est un document de producteur et pas d’auteur. Donc oui au collectivisme, non à la Bible » ajoute avec humour Frédéric Krivine.
Alexandre Astier s’explique : « Un collectif d’auteurs me ferait peur car je ne saurais pas inculquer aux autres assez de connaissances pour que la série continue comme je l’entends. Marco Polo a dit : « on ne va jamais aussi loin que quand on ne sait pas où l’on va ». D’ailleurs les épisodes préférés du public sont parfois ceux que j’écris tard, sans aval de la chaîne, et qui n’auraient pas passé le cap de la lecture collective. Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais! »
En tant que directeur littéraire, Thierry Depambour se place entre la production et l’écriture. « Dès que sur une série on rentre dans une logique industrielle, et qu’il faut fournir beaucoup de matière, la question du travail en équipe se pose ».
Pour Alain Krief, qui intervient dans la salle, le cas d’Alexandre Astier confirme que la seule fiction intéressante est souvent le fait d’un seul auteur, comme aux Etats-Unis. « Après tout, comment peut-on être personnel quand on écrit à vingt auteurs? » Nicolas Durand-Zouky lui rétorque que les épisodes de « Plus Belle la vie » qu’il a écrit portent sa patte. « Mes propres parents retrouvent mon univers dans les épisodes que j’écris !». Christophe Andrei, réalisateur de certains épisodes de la série, confirme que lorsqu’il lit un scénario, il peut deviner qui l’a écrit.
Enfin, selon Frédéric Krivine, il n’y a pas d’auteur solitaire aux Etats-Unis, mais un parti pris d’auteurs industrialisés, avec des « writing rooms » très hiérarchisées. Il cite le cinéaste Arnaud Desplechin qui constate « qu’à chaque épisode de NYPD Blues le nom du scénariste change, le nom du réalisateur change, et c’est toujours aussi bien. »
Céline Sciamma fait part de son expérience de lauréate du Fonds : sortie de la Fémis en section scénario, elle n’était pas du tout formée à l’écriture télévisée. Elle a réalisé un long métrage l’été dernier(« Naissance des pieuvres »), mais a aussi proposé des pitchs à la télévision, où elle a été déçue. « On vous embauche parce que vous avez proposé quelque chose d’original (« Joséphine ange gardien » chez les Chippendales par exemple) et on vous fait écrire quelque chose de banal (« Joséphine à l’opéra »). Le FAIA permet la recherche et le développement en matière de télévision. D’ailleurs c’est déjà un label, car des producteurs nous ont contactés après avoir lu notre pitch sur le site du CNC. »
Thierry Depambour nuance cette liberté : « écrire et travailler sans savoir pour quel producteur et quel diffuseur, c’est se faire plaisir mais c’est aussi très dangereux ».
Dans la salle, Laurent Cormier, directeur de l’Audiovisuel au CNC, précise qu’aujourd’hui 60% des projets aidés en écriture ont trouvé un producteur, et que des diffuseurs font partie des comités d’experts qui choisissent les projets. L’anonymat des postulants, qui a permis d’élargir le cercle fermé des scénaristes actuels, est un principe qui sera conservé. A une question sur l’adéquation des projets aux demandes des chaînes, Laurent Cormier répond que les experts ne mettent pas en avant la faisabilité et s’intéressent plutôt à l’originalité des univers.
Selon Christophe Ledannois, responsable de l’Audiovisuel à la SACD, «en France, dès que l’on parle de ce qu’on ne sait pas faire ou n’existe pas, c’est toujours la faute au droit d’auteur, par opposition aux Etats-Unis où le copyright simplifierait soi-disant tout. Selon la croyance commune, le copyright signifierait une simple cession au profit du producteur qui deviendrait en quelque sorte l’auteur. Sur le principe c’est exact mais dans les faits c’est totalement faux puisque la WGA (Writers Guild of America) et ses 12000 adhérents est un syndicat très puissant qui impose à tous les producteurs ses conditions de rémunérations avec des contrats extrêmement précis. Aux USA on est en fait dans un système de négociation collective et en France dans un système législatif mais au fond les différences entre les contrats des uns et des autres ne sont pas si importantes. En France, en ce qui concerne l’écriture multiple, il faut une règle du jeu établie dès le départ. Le meilleur contrat est celui sur lequel on a réfléchi pour l’adapter au mieux à la situation. Souvent les problèmes surgissent parce que les gens veulent aller trop vite et plaquent des modèles qui ne sont pas adaptés. Enfin, je préfère le terme « oeuvre de collaboration » à « oeuvre collective » qui prête à confusion car en droit les oeuvres collectives sont les dictionnaires, les encyclopédies, les journaux etc. mais pas les oeuvres de fiction. Une oeuvre de collaboration implique par contre que chacun auteur apporte sa contribution mais reste auteur à part entière, quel que soit le nombre d’auteurs."
Nicolas Durand-Zouky raconte ses souvenirs de « Léa Parker », une série pour laquelle jusqu’à 15 auteurs se succédaient sur un épisode : « les batailles étaient féroces, alors que si les auteurs sont en ateliers et travaillent tous ensemble, ils sont forcés de se mettre d’accord avant. »
Olivier Szulzynger précise que dans le cas d’une série quotidienne comme « Plus Belle la vie », la bonne volonté est de mise : « les droits sont définis dès le départ, et même si son séquencier ou ses dialogues sont réécrits, un auteur touche quand même ses droits. Ce qui crée le conflit, c’est l’empilement d’auteurs. »
Dans la salle, Guy Patrick Sainderichin, scénariste, ajoute que « les conflits dépendent beaucoup de qui choisit les auteurs : si l’auteur est coopté et non pas imposé, ça réduit les risques. »
Frédéric Krivine soulève la question du salariat éventuel des auteurs dans des configurations comme « Plus Belle la vie », question vite résolue par Christophe Ledannois : « le salariat n’implique pas de cession des droits d’auteurs au producteur, il est donc inadapté. Il pourrait par contre tout à fait être appliqué pour les fonctions de directeur de collection. Cependant comme un salaire a 65% de charges sociales et le droit d’auteur 2,5%, ils sont peu nombreux les producteurs qui font ce choix...»
Carole Sciamma évoque à nouveau son parcours : « je suis sortie de la Fémis avec un long- métrage sous le bras, qui a été une carte de visite pour le cinéma mais pas forcément pour la télévision… J’ai pu rencontrer des agents et le scénario du film a été une base de prospection pour la télévision. Ça s’est passé raisonnablement vite. Je me suis fait un peu avoir au début en travaillant sans être finalement payée, mais c’est formateur. Il faut prendre le risque. »
Christian Biegalski modère ses propos : « je ne conseillerais pas systématiquement de prendre le risque : on peut aussi se renseigner. Ma porte est toujours ouverte pour ceux qui veulent savoir à qui faire confiance. » Il cite également les fictions de day time qui se créent en ce moment sur France 2, TF1 et M6, et ont de gros besoins en volume d’écriture et des finances difficiles (30 à 40 000 euros l’épisode).
Quant à Frédéric Krivine, son premier conseil« c’est de regarder la télévision, et surtout les fictions françaises, même si c’est difficile » (rires).
Alexandre Astier précise quant à lui qu’il n’a pas la télévision et qu’il préfère la regarder éteinte pour savoir ce qu’on aimerait y voir… Plus sérieusement, il raconte que si « Kaamelott » a été acheté par M6, c’est aussi parce qu’il n’est pas arrivé seulement avec un scénario : « sur papier, la série était invendable. La chaîne et CALT, le producteur, se sont décidés grâce à six formats courts de 4’30 déjà tournés avec les comédiens ».
Laurent Cormier rappelle opportunément que le FAIA finance également depuis peu des pilotes.
Pour Olivier Szulzynger, dans un atelier d’écriture, « une grande partie du pouvoir esthétique est détenu par les auteurs qui produisent une oeuvre à identité forte : il faut des réunions régulières, un processus de création en commun… »
François Emmanuel Porché, l’un des lauréats du Fonds d’Innovation en animation, regrette que les participants ne parlent pas davantage de contenu. « Ces nouvelles écritures posent à nouveau la question du pouvoir des auteurs. Et le point commun d’Olivier et Alexandre, c’est qu’ils ont tous deux à leur façon pris le pouvoir sur leurs séries. »
Pour Thierry Depambour « tout dépend de ce qu’on met dans le terme pouvoir : les producteurs et les diffuseurs ne sont pas que des gens qui ne savent pas lire ou qui dénaturent les idées. Si on ne veut pas négocier, discuter et avancer ensemble pas à pas, on va droit dans le mur. »
Quant à Olivier Szulzynger, son résumé est simple : « c’est celui qui paie qui décide : la chaîne peut me virer dès que l’audimat chute, mais si elle estime qu’une semaine n’est pas bonne à la relecture, et qu’elle exige une réécriture, elle doit la financer. On discute tout le temps, je hurle, je monte sur la table, mais à un moment ou à un autre, il me faut l’accord de la chaîne !»
Pour Alexandre Astier, le pouvoir de l’auteur est un pouvoir de fait puisqu’il est le moteur de l’économie : « c’est lui qui peut mettre moins de comédiens ou moins de décors. Mais il faut en face des gens qui savent lire et pas juste un type qui a fait un stage chez Robert Mac Kee à Londres… écrire est un boulot, lire aussi. » Frédéric Krivine demande si un scénariste peut faire lire son projet aux chaînes sans avoir de producteur ? Tout le monde le déconseille formellement. Quant au réalisateur, en télévision il intervient très tard. Laurent Cormier précise que c’était aussi la logique du FAIA d’associer les réalisateurs plus tôt sur les projets, mais il se heurte à un certain scepticisme.
Thierry Depambour souligne que dans un monde idéal le réalisateur serait peut-être présent dès l’écriture, mais qu’en pratique l’auteur et le producteur restent le duo idéal pour vendre un projet. « Pour moi, le regard du réalisateur est important au niveau du séquencier. »
Dans la salle, une jeune scénariste demande si l’avènement de nouveaux supports de diffusion des images (internet et les téléphones portables) influence l’écriture ?
Frédéric Krivine estime que l’expérience des Etats-Unis où ce phénomène existe depuis plus longtemps, montre que les choses n’ont pas beaucoup changé. « Le diffuseur reste lié aux recettes publicitaires et il n’y a pas encore d’économie pour ces nouveaux supports. »
Christophe Ledannois rappelle également que les nouveaux supports s’intéressent surtout à la déclinaison de ce qui existe déjà ou de ce qui va se créer sur les médias traditionnels : d’« Arthur et les Minimoys », à « Plus belle la vie », en passant par « 24 heures »…
Olivier Szulzynger et Alexandre Astier précisent que le téléchargement internet des épisodes de « Plus Belle la vie » et « Kaamelott » reste très minime.
Nicolas Durand-Zouky cite cependant l’exemple de « Brother and Brother », série de Canal+ née d’un groupe d’amis qui faisaient des sketches sur internet.
Frédéric Krivine évoque de son côté, outre « Plus belle la vie » et « Kaamelott », l’apparition de nouveaux contenus dans « Djihad », « Engrenages », ou « Clara Sheller »...
Enfin, Nicolas Durand-Zouky conclut avec optimisme sur le futur :
"Mon travail de scénariste me passionne. La lame de fond de la diffusion en prime time de séries américaines comme "Six feet under", "Desperate Housewifes", ou "Ally Mac Beal", a rendu caduques beaucoup de séries traditionnelles. Soudain, on ne peut plus faire de la fiction comme avant. Beaucoup de scénaristes de télévision développent des sujets personnels qui n’auraient pas pu se monter il y a cinq ans... Simplement, on ne verra le résultat à l’antenne que dans deux à trois ans. "
C’est sur ces propos enthousiastes que s’est terminée la table ronde.
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Auteur du compte-rendu : Valérie Ganne