3ème rencontre CNC-SACD :
Animation et télévision : écrire pour quels publics ?

(Ce compte-rendu de cette rencontre a été rédigé par Valérie Ganne pour le CNC et la SACD)

Pour leur troisième édition, le 7 février dernier, les rencontres CNCSACD abordaient le thème de l’écriture d’animation pour la télévision.

Le modérateur du débat, Patrick Eveno, a été producteur pendant seize ans au sein du studio Folimage, avant de diriger la CITIA (Cité de l’image en mouvement), organisatrice du festival et du marché d’Annecy.

A la table étaient rassemblés des scénaristes confirmés comme Pascal Mirleau et Tony Scott (en équipe depuis plus de dix ans, actuellement en direction d’écriture sur « Cédric » pour Dupuis Audiovisuel et France 3), Claire Paoletti (adaptatrice et directrice d’écriture de « Titeuf », auteur de « Marc Logan », un 52 minutes pour France 3 en fin de production), ou enfin Annabelle Perrichon (directrice d’écriture, administratrice déléguée à l’animation à la SACD). A leur côté, Sylvain Cappelletto, jeune lauréat du Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle écriture/animation du CNC en 2005, côtoyait deux producteurs : Franck Ekinci (créateur voici dix ans de sa société « Je suis bien content »), scénariste et réalisateur d’animation depuis 14 ans et Benoît Di Sabatino (co-fondateur en 1990 d’Antefilms, devenu Moonscoop suite au rachat de France Animation en 2003).

Safy Nebbou

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Naissances de scénaristes et de concepts

Chacun des intervenants a commencé par résumer son parcours. Sylvain Cappelletto vient du design et des arts appliqués. « L’institut », son projet lauréat du Fonds d’aide à l’innovation, présenté avec son acolyte habituel Paul Rodrigues, était leur première expérience d’écriture. Claire Paoletti, scénariste depuis dix ans, a été lectrice de fiction à France Télévisions avant d’en intégrer le service jeunesse, puis de passer à l’écriture. Pascal Mirleau a fait ses débuts à l’INA, puis est devenu scénariste d’animation et directeur d’écriture. Plus éclectique, le britannique Tony Scott a été marin, vice consul à Paris et journaliste, avant de commencer à écrire pour aider deux amis. Annabelle Perrichon, diplômée de sciences Po, est auteur depuis douze ans pour la télévision (« Sous le soleil », « Léa Parker ») et le cinéma (« Les amants criminels », « Promenons nous dans les bois »). Du côté des producteurs, Franck Ekinci est passé par la publicité, comme créateur de roughs et de story boards en agence et a aujourd’hui encore la casquette d’auteur. Il a été également directeur artistique, éditeur et dessinateur de BD, roughman, illustrateur, story-boardeur, scénariste, réalisateur et producteur. Enfin Benoît Di Sabatino a créé Moonscoop (ex Antefilms) avec son frère Christophe, société qui s’est développée jusqu’à produire aujourd’hui plusieurs séries d’animation de 26X26’ dont « Titeuf », ou « Code Lyoko ».

La première question de Patrick Eveno concerne le processus qui amène à la naissance d’un concept. Claire Paoletti cite une série pour France 3, dont l’idée lui est venue après avoir vu un spectacle de cirque de puces ! « Après l’inspiration naturelle, il faut développer l’idée et l’adapter à cette forme de récit particulier qu’est la série ». Pour Benoît Di Sabatino, il y a autant de façons pour une idée d’arriver sur un bureau que de projets. Il évoque deux exemples opposés : à une édition du festival d’animation d‘Annecy, il avait remarqué les inter-films de deux étudiants des Gobelins, et les a contactés pour développer leurs personnages en une série, devenue « Code Lyoko ». A l’inverse, sa société a produit « Titeuf », une BD à succès adaptée ensuite en série télévisée, un chemin beaucoup plus balisé. Franck Ekinci cite « Lila Lili », apportée par deux auteurs avec qui sa société travaillait déjà, et concrétisée avec TF1. Une autre idée de série (« Un monstre stupide par jour »), enthousiasmait Canal+, mais, malgré des promesses répétées d’année en année, la chaîne tardait à signer. Le producteur leur a faxé chaque jour un monstre et a obtenu leur accord en dix jours !

Ecrire pour soi, pour un producteur, pour la télévision ?

Patrick Eveno demande aux participants si la contrainte d’écrire pour la télévision existe dès l’écriture. Claire Paoletti préfère y penser tardivement. « Tout le travail de développement d’une histoire, des personnages, d'un univers, doit se faire dans la créativité. Même si l’on sait que l’on écrit pour un public, ce travail préparatoire doit pouvoir nous nourrir ensuite ». Benoît Di Sabatino acquiesce : « l’auteur doit développer son idée : laissons l’imagination être un moteur. Il ne faut pas se poser la question du format avant même d’écrire. Ensuite il est plus facile au producteur d’amener le projet vers un marché. Lorsque nous avons acheté les droits d’adaptation de « Titeuf », nous avions la latitude de garder ou non tous les personnages, de faire du 7 ou du 13 minutes… C’était possible parce que l’univers de cette BD est très riche ». Franck Ekinci est plus partagé : « quand je reçois des projets plein d’idées, en parallèle je suis inquiet, car je me demande auprès de qui les placer. Je dois parfois faire comprendre aux auteurs qu’il est inutile de se fatiguer sur une idée qui a peu de chances d’être acceptée ».

Annabelle Perrichon reste pragmatique : « un auteur fort peut tordre les contraintes, mais il lui est impossible d’en faire abstraction. Si on veut faire de l’animation jeunesse, on ne peut pas choisir un graphisme noir, traiter des thèmes adultes, ou faire du troisième degré. Je conseillerais de travailler le plus tôt possible avec un créateur graphique, et de se poser des questions avant de présenter son projet, notamment sur la cible. Elles surgiront de toutes façons très vite en rendez-vous ». Benoît Di Sabatino rappelle que la phase de développement d’un projet apprend le travail commun entre auteur et producteur. Pascal Mirleau renchérit : « c’est une histoire de rencontres, on sait vite si l’on a envie de travailler avec l’un ou l’autre ». Tony Scott précise : « on sait qui est plus spécialisé « pré-school » (pour enfants non scolarisés) ou qui saura produire la bataille de Verdun en animation par exemple !».

A chaque nouveau projet, Annabelle Perrichon s’interroge : « j’aime rencontrer des producteurs que je ne connais pas. Mais je me renseigne toujours auprès de personnes qui ont travaillé avec eux. Il faut aussi savoir si une société a la crédibilité pour monter un projet ». « Il faut aussi nous faire confiance ! » se défend Benoît Di Sabatino. « Notre rôle est difficile car il faut être en avance sur l’air du temps : les séries que l’on commence à produire aujourd’hui seront sur les écrans dans trois ans. En ce moment les projets « pré-school » sont très à la mode, mais il n’y a pas la place pour tout le monde ». Patrick Eveno cite d’ailleurs des chiffres glanés au dernier Mipcom Junior, selon lesquels si 60% des programmes présentés étaient des « pré-school », aucun ne faisait partie du top 30 des programmes visionnés par les acheteurs…

Du concept original à la commande

Sylvain Cappelletto fait part de sa première expérience pour le Fonds d’innovation du CNC : « nous écrivions un peu à l’aveugle, puisque tous deux issus du graphisme. On se posait les questions de la cible et des contraintes, mais sans forcément y répondre. Au départ, nous pensions écrire pour des adultes, mais peu à peu, le projet a changé ». Franck Ekinci avoue qu’en quatorze ans de scénariste et de production, 95 % de son travail ressort avant tout de la commande (des adaptations de BD, ou d’oeuvres préexistantes). Christophe Ledannois, directeur adjoint à l’audiovisuel à la SACD, précise que selon lui, « la moitié du marché est constitué d’adaptations de bandes dessinées existantes, et un quart de suites de séries ou de déclinaisons ».

Marie Sophie Amadi, scénariste présente dans le public, demande ce qu’il faut proposer à un producteur. Même si les exemples abondent (de l’idée sur un coin de table aux projets entièrement story-boardés), les participants s’accordent sur un dossier comprenant en une dizaine de pages : le concept, les principaux personnages, les décors, et quelques idées d’histoires. Un graphiste peut être un « plus », mais Benoît Di Sabatino cite des cas ou un graphisme qui déplait peut faire écarter trop vite un bon projet. Annabelle Perrichon résume : « vous êtes prêts quand vous pouvez formuler clairement votre projet en 5 ou 10 minutes. Mieux vaut un projet pas trop bouclé car il faut garder de l'énergie pour son développement avec le producteur, puis avec le diffuseur ». Autre conseil de Tony Scott : « écrire un morceau de scénario pour soi, pour voir si le concept marche ». Alice Delalande du CNC précise que la règle au Fonds d’innovation écriture/animation est que les projets soient présentés par l’auteur littéraire avec un graphiste, et contiennent une pré-bible et des éléments d’histoires donnant le ton.

Travail en équipe, scénaristes et graphistes

Pascal Mirleau décrit son rôle du directeur d’écriture : « tout le monde a son opinion, et elles sont parfois contradictoires. C’est donc une lutte permanente ». Tony Scott précise que ce travail consiste aussi à motiver les scénaristes, souvent isolés. Annabelle Perrichon prévient : « une fois lancée, une série est une machine infernale. Un directeur d’écriture a beaucoup d’interlocuteurs, aucun n’est financièrement majoritaire mais pourtant tous veulent donner leur avis à 100% ! Donc, il faut garder la cohérence de la série, pousser les auteurs à proposer des choses originales sans avoir peur d’un refus, et négocier, ce qui prend du temps sur la création ». De son côté, Claire Paoletti regrette le manque de contacts avec les graphistes : « l’animation est une forme de création très sectorisée : scénaristes, directeurs d’écriture, graphistes, story-boarders… On en oublie l’essentiel : on écrit pour que cela devienne des images ». Patrick Eveno cite l’expérience de Folimage où auteurs et graphistes s’enrichissaient mutuellement, puisque tout le monde travaillait ensemble et en même temps, « même si du point de vue financier ce n’était pas la solution idéale ».

Benoît Di Sabatino reconnaît que pour une société qui produit six séries en même temps, il y a une réelle impossibilité physique à ce que scénaristes et graphistes discutent. Annabelle Perrichon défend une position intermédiaire : « le directeur d’écriture doit trier les éléments graphiques à donner aux scénaristes. Même si je suis souvent mal reçue, je négocie pour avoir accès à toutes les images, et j’en tire des enseignements utiles à tout le monde ». Christophe Ledannois de la SACD conclut par un résumé du statut des scénaristes : « en animation, il y a plusieurs auteurs : le réalisateur (à la fois salarié et indépendant), l’auteur littéraire et le créateur graphique, qui, eux, sont indépendants. Les auteurs sont payés par contrat (par le producteur) et à la diffusion (par la SACD). Environ 400 scénaristes d’animation sont inscrits à la SACD, mais seuls 100 à 200 travaillent régulièrement ».

Comment débuter ?

Puisque les commandes représentent la majorité des projets, Elisa Fourniret (SACD) demande où les producteurs trouvent des scénaristes ? Franck Ekinci va chercher des connaissances, et quand il est sollicité par des inconnus, il demande à lire des textes personnels avant de les prendre à l’essai. « A partir d’une bible littéraire et graphique, ils proposent des histoires. Quand un pitch est accepté, ils rentrent alors dans le circuit classique (synopsis, séquencier, première version dialoguée, etc..), avec contrat et paiement. Cependant je reconnais manquer de temps pour les accompagner ». Annabelle Perrichon raconte qu’elle a fait débuter des auteurs quand ils lui ont été chaudement recommandés. « J’écris avec eux, j’assure les pots cassés si ça se passe mal… Je conseillerais d’écrire pour soi, « on spec ». Cela consiste à écrire un épisode d’une série qu’on aime, sans commande, pour montrer ce que l’on sait faire. Les américains font ça tout le temps, et ça permet de juger sur pièce ».

Pour trouver de nouveaux auteurs, Benoît Di Sabatino note qu’une banque de données serait très utile. Christophe Ledannois précise que la question s’est posée à la SACD, mais que ce qui est réalisé pour un secteur comme l’animation doit l’être pour les autres : « or la SACD compte 40 000 adhérents, cela semble encore trop ambitieux à mettre en place ». Patrick Eveno évoque alors le projet de la CITIA de créer un portail des nouveaux talents, baptisé NAAOW : « ce sera une sorte de galerie des auteurs littéraires, graphiques, sonores, un espace pour qu’ils présentent leur CV et leurs aspirations. Nous souhaitons créer un dialogue entre eux mais aussi avec les producteurs ou les diffuseurs : le but est de présenter un projet abouti au prochain festival d’Annecy ». Anne Tudoret (CNC) rappelle que l’UGS a inauguré au dernier festival de Cannes une banque de données des scénaristes de fiction, et que des liens sont sans doute possibles.

Marie Fiort, scénariste dans le public, demande pourquoi ne sont pas cités d’autres formats que la série ? Patrick Eveno rappelle que c’est à dessein que le long métrage d’animation n’a pas été évoqué. Pour Franck Ekinci, les formats dits « spéciaux » sont rares et difficiles à monter, car les partenariats étrangers demandent du volume. « Les dessins animés pédagogiques sont également rares. Et en ce qui concerne le court métrage, c’est souvent un sacerdoce pour celui qui s’engage corps et âme avec la bonne volonté d’un producteur ». Claire Paoletti cite le cas d’un 52 minutes pour France 3 qui sera diffusé à Pâques, « Marc Logan » : « j’y travaille depuis quatre ou cinq ans. C’est un format difficile à financer à l’international, mais nous avons eu la chance d’avoir la Raï. Il faut s’accrocher ».

Les contraintes

Pour le producteur Benoît Di Sabatino, elles sont de deux ordres. D’abord culturelles car il s’agit de coproductions internationales : « un dessin animé s’adresse aux enfants du monde entier, mais ensuite il est parfois difficile de mettre d’accord plusieurs pays. Seconde contrainte, on ne s’adresse pas à des enfants mais à des directeurs de programmes qui s’adressent à des enfants ». Franck Ekinci déplore cette multitude d’interlocuteurs : « En fait, le décisionnaire ou l’acheteur du programme n’est pas le conseiller de programme qui va suivre l’écriture. Il travaille avec des lecteurs mais peut changer en cours de production. Par ailleurs, une série étant financée par différents partenaires, nous avons donc en face de nous plusieurs interlocuteurs qui ne sont pas forcément d’accord entre eux, ce qui complique évidemment le travail sur le scénario, et il n’est pas rare de voir huit versions d’un scénario ».

Ce que Claire Paoletti résume en rappelant que c’est un métier qui demande beaucoup de résistance nerveuse ! Christophe Ledannois de la SACD rajoute qu’en cas d’adaptation l’auteur de l’oeuvre originale (BD ou livre) et/ou son éditeur, sont des interlocuteurs supplémentaires. Benoît Di Sabatino cite « Code Lyoko », un des meilleurs scores d’audience aux Etats-Unis sur Cartoon Network : « pourtant on y mange des épinards au réfectoire, et le laboratoire secret des enfants est inspiré des anciens ateliers Renault Boulogne Billancourt ! Même s’il existe des codes internationaux, il faut garder des particularités nationales, c’est ce qui plait ». Claire Paoletti regrette que l’aspect international d’un projet s’intègre dans l’écriture via les producteurs imposant souvent des codes moraux anglo-saxons, un mélange de puritanisme et d’obligations commerciales. « Il faut éviter des sujets inquiétants avant une éventuelle coupure publicitaire (même si en France il n’y en a pas), fuir les « imitable acts », comme faire du skate sans casque et coudières, de la voiture sans ceinture etc… » Benoît Di Sabatino lui rétorque que pour lui ces règles sont logiques : « on ne s’adresse pas aux enfants de la même façon qu’aux adultes, c’est une responsabilité. L’histoire de la coupure publicitaire tient du fantasme... ». Il est aussitôt contredit par Pascal Mirleau : « nous avons tous connu des codes pour les coupures publicitaires ! Mais c’est le métier, il faut savoir contourner les contraintes ». Annabelle Perrichon rappelle qu’une série réaliste subit davantage de pression, et que plus l’âge de la cible est jeune, plus le niveau de tolérance est bas. « Mais le curseur bouge selon les pays, les personnages, les saisons de la série… on peut négocier, même s’il reste des sujets tabous : la mort et la religion par exemple ». Claire Paoletti se souvient pourtant avoir réussi à parler de la maladie pour un épisode de « Titeuf » et Patrick Eveno rappelle que dans la série « Hôpital Hilltop » (Folimage), la maladie était abordée, même si c’était via des personnages d’animaux.

Nouveaux supports et déclinaisons

Pour Benoît Di Sabatino, « un producteur doit savoir s’inscrire dans le monde numérique et prendre en compte l’éventualité de la naissance de supports encore inconnus. Nous accompagnons les chaînes dans leur marketing, en concevant des modules pour leur site internet, des jeux interactifs… Il faut savoir répondre à cette demande de plus en plus systématique. On acquiert un savoir faire et tout le monde y gagne. Par contre, en ce qui concerne les produits dérivés, qui ne concernent que les séries qui marchent très bien, il faut au moins trois ans pour imposer le moindre produit à un magasin ! On peut donc y penser, mais pas en amont ». Patrick Eveno cite la BBC qui demande d’ores et déjà aux producteurs des déclinaisons de séries de 2 minutes pour téléphones portables. Et Claire Paoletti raconte qu’aux Etats-Unis, le mot « mobisode » a déjà été inventé pour les épisodes pour téléphones mobiles.

La dernière question d’un scénariste de la salle fut à propos de l’application à l’animation de la loi sur la diversité. Annabelle Perrichon rappelle que « dans ce secteur, à cause sans doute de son caractère international, on exagère presque la diversité. Dans les bandes de copains, il y a toujours un blanc, un noir, un asiatique etc... Par contre, on peut faire de vrais progrès au niveau de la composition des équipes de scénaristes, qui sont plutôt homogènes, blancs et de classes sociales aisées. Tout le monde doit avoir accès au milieu de la culture et à sa fabrication ». Laurent Cormier termine sur un bref résumé des aides à l’animation au CNC : au développement et à l’écriture via le fonds d’innovation, au pilote, et à la production, aides récemment revalorisées pour les dépenses faites en France, et enfin crédit d’impôt. « Aujourd’hui une série d’animation peut être financée à 50% par des apports français ».

Auteur du compte-rendu : Valérie Ganne